Télétravail et Droit à la Déconnexion

Le télétravail, le mot magique de la crise sanitaire, ce mot était nouveau pour beaucoup d’entre nous et aujourd’hui, plus d’un an et demi après le début de cette crise, nous nous sommes rendu compte que certaines zones d’ombres persistaient dans l’esprit de certains. Alors l’équipe MAF s’entretient pour vous avec une RH de carrière afin de vous présenter clairement les grands concepts du télétravail.

 

 

Bonjour Madame JUSTIN-ADT, merci de prendre le temps d’être avec moi aujourd’hui. Pour commencer, pouvez-vous présenter votre parcours professionnel à nos lecteurs, ainsi que votre poste actuel ?

Bonjour à toutes et à tous, je suis issue d’un double cursus universitaire, plus précisément d’un double master en psycho-socio et droit du travail. J’ai par la suite effectué deux années en cabinet de recrutement avant de faire 10 ans de RH orienté gestion des compétences et recrutement/formation dans un grand groupe. Je suis aujourd’hui HRBP (Human Resources Business Partner) généraliste sur un secteur à la MAIF, et ce depuis 10 ans.

 

MAF : Aujourd’hui nous allons parler de télétravail et de droit à la déconnexion, des sujets très en vogue en ce moment après les nombreux confinements que la France a traversés. Je me permets de reprendre la définition de l’Express concernant le télétravail pour que nous puissions développer le sujet sur une base commune. L’Express nous dit: Depuis 2012, le code du travail définit précisément le télétravail: un travail qui « aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur », mais effectué « hors de ces locaux de façon régulière et volontaire » et encadré par un avenant au contrat de travail. Il exclut donc le télétravail non formalisé alors que les enquêtes régulièrement publiées mêlent souvent les télétravailleurs déclarés et les autres.”  Pouvez-vous nous aider à décrypter cette définition? Il y a-t-il une différence fondamentale entre le travail dit “présentiel” et celui en télétravail?

JUSTIN-ADT : Techniquement, la définition du travail est la même, ici c’est une question d’organisation. Pour faire les mêmes activités c’est l’organisation qui diffère. Elle est régie par un avenant au contrat de travail, suite à un accord que l’entreprise a signé avec les partenaires sociaux. Normalement, selon l’avenant négocié, le télétravail devrait être compensé financièrement par une indemnité. D’un point de vue organisation, le télétravail permet au salarié d’avoir un meilleur équilibre entre sa vie privée et sa vie professionnelle. Cela constitue la seule différence normalement, car les tâches et la charge de travail sont les mêmes. 

 

MAF : Les entreprises sont-elles obligées de fournir des équipements (ordinateur, abonnement WiFi, etc.) à leurs employés pour le télétravail ?

JUSTIN-ADT : Je ne sais pas si c’est obligatoire, mais les accords de télétravail que l’employeur va signer avec les organisations syndicales prévoient comment le télétravail va s’organiser et avec quels moyens (par exemple à la MAIF, compensation financière de 2€ par jour de télétravail afin de compenser l’électricité utilisée, ainsi que la Wifi, etc. l’ensemble du matériel leur est fourni).

 

MAF : Pouvez-vous illustrer votre propos en nous expliquant brièvement comment s’est mis en place le télétravail dans votre entreprise ?

JUSTIN-ADT : Comme je vous l’expliquais précédemment, mon entreprise à des accords de signés garantissant une petite compensation financière et l’approvisionnement du matériel. Mais il faut savoir que chez nous le télétravail existait déjà depuis environ 6 ans sous la forme d’une expérimentation au début, notamment en région parisienne, pour essayer de soulager le temps de trajet des franciliens. Après avoir constaté des résultats positifs, l’entreprise signe en 2019 son premier accord de télétravail, permettant aux salariés autonomes, dont la fonction le permettait, de faire du télétravail, à hauteur de 2 jours de présence dans l’entreprise par semaine. En 2020, elle avenante l’accord et élargit le nombre de personnes concernées, faisant du télétravail une option pour tout le monde dès lors autonome sur son poste et ce après quelques mois de présence dans l’entreprise avec toujours la condition que les salariés doivent être présents 2 jours sur site par semaine

 

MAF : L’inquiétude pour de nombreux adultes en télétravail est celle de la garde des enfants. En avril, un député de l’Eure déclarait que la garde d’enfants et le télétravail étaient compatibles, mais légalement, est-ce qu’une entreprise peut nous demander un tel mode de fonctionnement? 

JUSTIN-ADT : Il y a une différence à faire entretélétravail” et “travail à domicile du fait de la crise sanitaire (lui non régi par un avenant du travail). Dans le télétravail, et donc d’une organisation différente, l’entreprise sait et reconnaît que les enfants (leur garde) ne sont pas compatibles avec un emploi (par exemple les enfants ne sont pas compatibles avec le travail en présentiel et vous ne les ramenez pas au bureau, n’est-ce pas?). Dans le cas du travail à domicile, la prise de décisions est différente, on va évaluer si la situation du salarié est compatible ou non, et alors là l’entreprise tranchera. Dans le cas de la MAIF, on a adapté le temps de travail du salarié et compensé si nécessaire quelques heures avec du chômage partiel par jour. Le but principal étant de trouver un juste équilibre.

 

MAF : Autre inquiétude, la baisse des salaires. Elle serait une politique interne de dissuasion du télétravail, afin de faire revenir les employés dans les bureaux, car passer trop de temps chez eux leur ferait perdre le goût du travail. Cette polémique a été lancée le mois dernier par Google, mais ici en France, est-ce qu’une telle chose pourrait arriver? 

JUSTIN-ADT : Non, ici c’est illégal. Baisser le salaire va contre le code du travail, de plus va à l’encontre des avenants de télétravail. Le travail est le même, il est juste effectué dans une localisation différente et donc ne justifie en aucun cas une baisse de salaire. Le seul débat que nous avons connu sur un sujet similaire était sur le maintien des tickets resto, la compagnie avait d’abord tranché non, mais après une examination plus en profondeur du sujet, elle est revenue sur sa décision et tranche en faveur du ticket resto en situation de télétravail.

 

MAF : Enfin, le sujet du droit à la déconnexion. En effet, où commence la vie professionnelle et où finit la vie privée quand la salle à manger fait office de bureau? Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les lois déjà en place sur ce sujet?

JUSTIN-ADT : Chez nous nous avons dès le début été conscient de ce problème et nous avons décidé, dans le cadre de l’avenant de télétravail, de demander à chaque salarié d’avoir un lieu de télétravail différent, afin de pouvoir déconnecter physiquement, que ça soit dans une pièce différente ou bien de ranger son ordinateur dans une commode le soir, pour que la rupture entre le privé et le professionnel soit physique malgré le fait que ces deux activités aient lieu à la même adresse. Le droit à la déconnexion est régi par des textes législatifs et les accords d’entreprise. Dans tous les cas, le télétravail ne devrait pas avoir comme incidence le temps de travail des salariés. Dans la plupart des entreprises, comme dans la nôtre, des accords ont été passés sur l’heure des derniers appels professionnels, l’heure la plus tardive d’un début de réunion possible, etc, afin que le salarié garde le même volume de temps et les mêmes horaires qu’à son habitude dédié à sa vie privée. Tout cela rentre dans une logique d’accommoder le collectif et l’individuel. Mais attention, il faut toujours faire la différence entre le télétravail et le travail à domicile en crise. Très souvent dans le cas du travail à domicile en temps de crise, les entreprises ont élargi les plages horaires pour couper la journée des salariées, leur permettre de s’ occuper de leur famille, prendre l’air pendant les périodes de confinement, etc. 

 

MAF : Je vais à présent vous poser quelques questions trouvées sur les forums comme reddit ou yahoo answers: “Je suis en télétravail et j’ai le droit à la déconnexion, néanmoins, mon patron ne me laisse pas organiser mes journées comme je le souhaite. Comment mettre les choses au clair?”

JUSTIN-ADT : Premièrement je me permets de faire un petit rappel sur la fonction du manager. Ce que le manager est en train de vivre et de faire en ce moment est un management en mode hybride. Il occupe la fonction qui a due la plus se remettre en cause, il passe d’une équipe présente à une équipe à moitié présentiel et à moitié distanciel, il fallait savoir composer avec ces différences, réussir à lâcher prise, car un manager passe beaucoup dans les bureaux, a un contact assez privilégié avec ses équipe, réussir à composer sans cela a été un défi. Selon moi, s’il n’y a pas de management de confiance, le manager se met à contrôler excessivement son salarié. Il faut pour moi aller sur du management par la confiance avec le télétravail et pour pondérer ça, il faut se dire que ce n’est pas parce qu’on est en télétravail qu’on organise son activité comme on le souhaite. L’activité reste organisée par le manager, mais l’organisation et la fonction de contrôler le travail se doit d’être la même en télétravail qu’au bureau. Si elle est différente, cela signifie que le manager n’a pas réussi à composer avec la distance et/ou ne fait pas confiance. Je me permets de rajouter un bémol, il y a une différence entre être employé et être cadre autonome: l’employé a les mêmes permanences et plages horaires, etc. en télétravail et au bureau, son organisation ne dépend pas.de lui, il a des missions prédéfinies par un manager, alors que le cadre autonome est comme son nom l’indique autonome.

 

MAF : “Est-ce que mon patron peut me demander un effort de dernière minute sur une mission, entraînant par conséquent des heures sup’, sans que cela apparaisse nulle part, sous prétexte que personne n’a été témoin de ces heures sup’?”

JUSTIN-ADT : Alors, premièrement les heures sup’ peuvent être encadrées par les accords (on peut avoir un compteur d’heures sur la semaine ou le mois, ou bien avoir un quota d’heures par jour), mais ce n’est pas obligatoire, c’est une question d’accords syndicaux. De façon générale, le manageur a le droit de demander des heures sup’ même en dernière minute. Et les heures sup’ sont ce qu’on appelle des heures majorées ! Il faut aussi comprendre que les heures sup’ sont à la demande d’un manager ou bien qu’elles ont été demandées par le salarié puis autorisées par le manager. Si  les heures sup’ sont réalisées sans prévenir un manager, sans son initiative ou son aval, elles peuvent ne pas être considérées comme des heures sup’. Mais dans tous les cas, le contrôle du travail doit pouvoir être effectif, donc dans la question ici, c’est un peu litigieux, on ne sait pas quels sont les accords concernant les heures sup’. 

 

MAF : Je suis pas certaine de comprendre, c’est des questions que tu as trouvé sur des forums c’est ça ? “Mon manager insiste pour superviser absolument toutes mes tâches et missions alors qu’il ne le faisait pas quand je travaillais au bureau. Cela me semble exagéré et surtout injustifié, que faire?”

JUSTIN-ADT : Je reviens au management par la confiance. Il serait ici nécessaire d’ouvrir le dialogue et de lui demander ce qui différencie son activité aujourd’hui de celle qu’elle fait au bureau, et expliquer qu’elle a le sentiment d’être beaucoup plus contrôlée en télétravail, et est-ce que cela est un manque de confiance, ou un manque d’outillage de la part du manager qui s’ajuste doucement au télétravail?  Je pense que dans ce cas de figure, le manager est sûrement mal à l’aise et pour se rassurer, va sur-contrôler. 

 

MAF : “Mon patron me force à travailler en télétravail pendant mon arrêt maladie, quels sont les recours possibles?”

JUSTIN-ADT : Cela est complètement illégal, d’autant plus que cela générera des soucis avec la sécurité sociale et les indemnités. Il faut se tourner vers la RH si la décision vient du manager, mais si cela est une situation qui s’est généralisée dans toute la structure il faudrait se tourner vers l’ inspection du travail. 

 

MAF : En cas de conflit, comment bien présenter son cas à son.sa RH?

JUSTIN-ADT : En cas de litige avec un manager ou un autre salarié, il faut d’abord discuter avec lui pour trouver une solution. Si le dialogue est impossible ou s’ il ne mène nulle part, alors vous pouvez vous tourner vers votre RH, afin d’avoir un avis extérieur, qui puisse prendre de la hauteur sur le sujet. Il faut essayer de venir avec des preuves, des éléments factuels, d’expliquer clairement la situation, et évoquer son ressenti et ce que se passe-t-il. Votre RH à normalement une relation basée sur la confiance, vous pouvez vous tourner vers iel, il ne faut pas rester seul, surtout ne pas se rendre malade.

Je remercie Mme Justin-Adt pour cette interview qui nous aura permis de vulgariser le sujet assez complexe du télétravail et des droits qui en découlent. Au nom de l’équipe MAF, j’espère que vous avez apprécié ce sujet et l’interview qui a été menée. Je suis Diane, bénévole MAF depuis octobre, je suis en Master d’études chinoises et rejoindre cette structure était pour moi tout naturel. Merci de m’avoir lu, c’était ma première rédaction d’article et interview pour MAF.

Rédactrice – Diane JUSTIN

Relecture – JJuliette LE BOULAIRE | Mise en  ligne Feng QIU-FIELBAL

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